Dans le paysage insulaire corse, bercé par les senteurs du maquis et les embruns
marins, une histoire moins connue se dévoile : celle du tabac. Bien plus qu’une simple culture, le tabac a tissé des liens complexes avec l’économie, la société et même l’identité de l’île de Beauté.
Des premiers plants importés aux manufactures locales florissantes, en passant par des échanges commerciaux audacieux, Orizonte vous invite à exhumer les volutes de cette histoire insulaire méconnue.
Una grana esotica germineghja in Corsica – U tavaccu face a sbacca
L’histoire du tabac en Corse débute avec son importation, à l’instar de nombreux territoires européens, au cours du XVIIe siècle. Introduit depuis le Nouveau Monde, le tabac arrive en Corse au gré des échanges commerciaux avec le nord de l’Italie. Au départ, il s’agit davantage d’une curiosité, d’une plante exotique aux usages encore peu répandus sur l’île. Les premières utilisations sont médicinales, le tabac étant perçu pour ses vertus supposées, avant de devenir une plante de plaisir, prisée pour être fumée ou chiquée. La culture du tabac ne s’implante pas immédiatement en Corse de manière massive. Les débuts sont timides, souvent cantonnés à des jardins privés ou des expérimentations locales. Face à l’instauration du monopole du tabac par l’État napoléonien en 1810, la Corse reçoit un traitement de faveur. Afin d’épargner les cultivateurs insulaires, Napoléon Ier leur concéde le droit exclusif de produire et commercialiser librement leur propre tabac, l’erba corsa (nicotiana rustica), destiné à la consommation locale.
L’abbrivu di e manufatture, quandu a Corsica trasforma a fronda in Oru castagninu
A la fin du XIXe siècle, notamment sous l’impulsion de l’administration française, que la culture et la transformation du tabac prennent une nouvelle dimension. L’île voit l’émergence de manufactures de tabac, des établissements chargés de transformer la feuille brute en produits finis, cigarettes, tabacs à pipe ou à rouler. Mais revenons un peu sur la production du tabac… Le climat et les sols, bien que variés, ne se prêtent pas forcément à toutes les variétés de tabac, et le savoir-faire agricole local doit s’adapter à cette nouvelle culture venue d’ailleurs. En dehors de l’erba Corsa, c’est le Tabacco de Bota qui fut choisi durant la première guerre mondiale avec des cultures qui s’amplifient autour d’Ajaccio et de Corte. Deux sortes de Tabac sont cultivées sur ces terres ; par des employés souvent d’origine Sarde ; d’abord une sorte de « Havane » à feuille larges et un Tabac à feuilles longues plus connu sous le nom de Kentucky. Certaines de ces cultures d’essais ont apporté à Ajaccio (à Campo di Loro) et Corte des chiffres de rendement très intéressant et de nombreux cultivateurs vont se lancer dans cette entreprise. Les usines Alban de Bastia et Ajaccio qui manufacturent les productions, vont réduire les importations et bientôt espérer voir un mouvement d’exportation s’amorcer.Ces manufactures deviennent des pôles économiques importants, comme à Bastia où elle a marqué le paysage industriel, elles créent des emplois et dynamisent les échanges commerciaux. L’histoire du tabac a connu des évolutions importantes au fil du temps. Le monopole d’État, les changements de consommation, les politiques de santé publique, et la mondialisation des marchés ont façonné le secteur en Corse, comme ailleurs. Aujourd’hui, la culture est devenue marginale, les manufactures insulaires ont disparu, emportées par les mutations économiques et les évolutions du marché. Aujourd’hui encore l’histoire du tabac laisse des traces, des mémoires, et un patrimoine industriel et agricole. Les bâtiments des anciennes manufactures, parfois reconvertis, témoignent d’une époque où le tabac était une activité économique importante. Le souvenir de ces cultures, de ces métiers, et de ces saveurs insulaires persiste dans la mémoire collective.
source : La culture du tabac en Corse par M. Cyprien Gabriel
A storia di u tabaccu in Corsica, spessu scunnisciuta, hè puru ricca è liata à l’identità di l’isula. Impurtatu à u XVIIu seculu da u Novu Mondu via l’Italia, u tabaccu fù prima una curiosità medicinale nanzu di diventà una pianta di piacè. A cultura principiò pianu pianu fin’à ch’è in u 1810, Napulione accurdessi à i Corsi u privileghju unicu di cultivà è vende lucalmente u soiu tabaccu, l’erba corsa, malgradu u monopoliu di Statu. À u XIXu seculu, e manifatture si svilupponu, soprattuttu in Bastia è Aiacciu, trasfurmendu u tabaccu in sigarette è tabaccu da pipa. U clima è e terre corse anu urientatu e culture versu varietà cum’è u Tabacco de Bota è tipi «Havana» è Kentucky, cultivati dinù da travagliadori sardi. I risultati incuragenti anu datu forza à a pruduzzione, e manifatture lucale sperendu ancu d’esportà, diventendu centri ecunomichi chì creanu impieghi è dinamizanu u cummerciu di l’isula.
Testu : Florian Sauvaget