Dans le paysage littéraire corse, certains noms résonnent comme des points d’ancrage, des repères qui dépassent le simple cadre de l’écriture pour devenir de véritables symboles culturels. Jacques Fusina fait partie de ceuxlà. Poète, romancier, traducteur, pédagogue, il incarne depuis plus de cinquante ans l’engagement profond en faveur de la langue corse et du patrimoine littéraire de l’île. À travers ses ouvrages, ses cours, ses prises de parole, il a oeuvré sans relâche pour faire de la langue corse non pas un vestige du passé, mais une matière vivante, capable de porter la modernité et la sensibilité de son peuple.
Da a Castagniccia à a Surbonna
Né en 1940 à Ortale, au coeur de la Castagniccia, Jacques Fusina découvre très tôt la force des mots et la musicalité d’une langue transmise dans l’intimité familiale. Après des études supérieures brillantes, notamment à la Sorbonne, il enseigne les lettres en région parisienne, avant de revenir en Corse dans les années 1980. Ce retour n’est pas anodin : il correspond à l’élan du Riacquistu, ce mouvement culturel et identitaire qui, dans la lignée des luttes sociales et politiques des années 1970, entendait redonner à la langue corse une place centrale dans la société. Fusina y joue un rôle déterminant, en contribuant à la reconnaissance universitaire du corse et en participant à la création d’outils pédagogiques et littéraires indispensables à sa transmission.
A puesia cum’è soffiu di vita
Son oeuvre littéraire témoigne de cette double vocation : écrire pour célébrer, mais aussi pour transmettre. Poète reconnu, il publie des recueils marqués par une langue charnelle, sensible, où la mémoire des lieux, des êtres et des traditions s’entrelace avec une recherche formelle moderne. Dans E Sette Chjapelle ou Versu Cantarecciu, la langue corse devient souffle poétique, porteuse de nostalgie mais aussi d’espérance. Parallèlement, il s’illustre dans des traductions et des ouvrages bilingues, convaincu que le corse, loin de s’enfermer dans une marginalité, peut dialoguer avec les autres langues du monde..
U pidagogu è l’artisgianu di a transmissione
Parmi ses contributions majeures figure également Parlons corse, un ouvrage de référence qui propose une introduction accessible à la langue. Ce travail, à mi-chemin entre manuel pratique et réflexion linguistique, illustre bien la démarche de Fusina : rendre le corse abordable sans jamais le simplifier à outrance, respecter ses subtilités tout en l’ouvrant au plus grand nombre. Il faut y voir la marque du pédagogue passionné, soucieux d’équilibrer exigence académique et volonté de vulgarisation. Mais Jacques Fusina ne s’est pas contenté d’écrire et d’enseigner. Il a aussi oeuvré à donner une légitimité institutionnelle à la culture corse. À l’Université de Corse, il a dirigé le département des sciences de l’éducation et accompagné de nombreux étudiants dans leurs recherches. Sa carrière académique témoigne de la conviction que la langue corse devait trouver sa place dans les espaces de savoir et de recherche, au même titre que les autres langues européennes.
Quandu a puesia scontra à musica
Au-delà de ses publications, son influence s’est également exercée à travers la chanson. Plusieurs de ses poèmes ont été mis en musique par les grandes formations corses comme Canta u Populu Corsu ou I Muvrini, contribuant ainsi à diffuser ses textes bien au-delà du cercle littéraire. Cette rencontre entre poésie et musique illustre parfaitement la capacité de Fusina à inscrire son travail dans une tradition populaire, accessible, partagée. Là encore, son écriture devient vecteur de transmission et de communion collective.
Una visione aperta ed universale
Ce qui frappe dans l’ensemble de son parcours, c’est cette volonté constante de concilier enracinement et ouverture. Jacques Fusina n’a jamais réduit la langue corse à un signe identitaire figé. Il l’a au contraire envisagée comme un outil d’expression universel, capable de dire le monde contemporain, d’accueillir l’innovation poétique, de s’enrichir au contact des autres cultures. Son travail sur U mo Petru Cirneu, récit autour de l’humaniste corse de la Renaissance Pietro Cirneo, en est une belle illustration : en réhabilitant cette figure oubliée, il montre que la culture corse s’inscrit depuis longtemps dans un dialogue européen.
Lascita è pusterità
Aujourd’hui, l’héritage de Jacques Fusina se lit autant dans ses livres que dans la vitalité actuelle de la littérature corse. De nombreux auteurs, jeunes et moins jeunes, reconnaissent en lui un modèle et un passeur. Il appartient à cette génération qui a su redonner confiance dans la capacité d’une langue minorisée à produire de la beauté, de la pensée, de la modernité. Sa trajectoire rappelle que la littérature n’est pas un luxe, mais un levier essentiel pour construire un avenir enraciné et ouvert.
Un fanale in a litteratura corsa
En évoquant Jacques Fusina, on ne célèbre pas seulement un écrivain, mais un artisan patient d’une renaissance culturelle. Ses mots résonnent comme une promesse : celle que la langue corse, malgré les menaces et les fragilités, peut continuer à vibrer, à séduire, à émouvoir. Dans l’univers de la Litteratura corse, son nom demeure un phare. Et son oeuvre, une invitation à croire en la force des mots pour transformer le réel.
Pueta, traduttore è pidagogu, Ghjacumu Fusina impersunaghja l’indiatura per a lingua corsa dapoi più di cinquant’anni. Natu in Castagniccia, furmatu à a Surbonna, impastò ind’è u riacquistu per fà campà è trasmette una lingua troppu spessu minaciata. E so racolte, manuali è puemi messi in musica da Canta u Populu Corsu o I Muvrini ne facenu un passatore essenziale di a cultura corsa.
Testu : Orizonte