Ghjuvan’Federiccu Terrazzoni : Pouvez-vous nous parler de votre enfance ?
Anghjulu Canarelli : Je vis le jour le 1er janvier 1949 à Livìa. Issu d’une famille modeste, mon père était charbonnier. Homme peu loquace, il ne s’exprimait qu’en corse, ce qui fit naitre chez moi un étrange sentiment de honte «A Vargugna» qui devint une pièce des années plus tard, où me retrouvant à mon tour à sa place, j’exprime mon profond regret d’avoir eu honte de lui. Vue de l’extérieur, mon enfance aurait pu paraitre rude, mais pour moi c’était naturel de venir en aide à mes parents. Pour ce qui concerne ma scolarité, pour être honnête, je n’en garde pas un très bon souvenir, en dehors d’une ou deux matières comme l’italien ou les sciences naturelles, j’étais totalement perdu, en léthargie, avec ce sentiment amer de ne pas être à ma place.
G.F.T. : Qu’avez-vous fait ensuite ?
A.C. : En 1967, l’été précédent mon année de terminale, dépourvu de diplômes et réalisant qu’il n’y aurait aucun avenir pour moi ici, j’ai décidé de quitter l’école ainsi que mon île, pour rejoindre le continent et tenter ma chance dans les marchés à Poissy dans les Yvelines. S’en suivirent deux années de service militaire. De retour à Poissy en 1970, j’ai continué ma carrière dans un magasin jusqu’en 1977 année de mon retour en Corse.
G.F.T. : Comment avez-vous décidé de revenir chez-vous, dix ans après votre départ ?
A.C. : Tout au long de ma vie, je me suis aperçu qu’une magie de l’existence gouvernait ma destinée. Il s’avère qu’un jour, une vieille dame venant au magasin, m’aborde et me dit qu’elle me trouvait triste, éteint. Je répondis que c’était dû au chagrin d’être loin de mon île. Elle fut surprise d’apprendre que je n’étais pas parisien et me dit que je ne devais plus rester ici, mais rentrer chez moi. Par le biais de connaissances, elle me dégotât une place à Portivechju et c’est ainsi que je parvins à rentrer.
G.F.T. : Et pendant tout ce temps sur le continent, parliez-vous corse ? écriviez-vous déjà ?
A.C. : J’avais laissé de côté ma langue maternelle, avec ma femme et mes enfants je pensais et ne m’exprimais essentiellement qu’en français. Il ne m’était jamais venu à l’esprit d’écrire quoi que ce soit, je me sentais absolument incapable de le faire et illégitime par mon absence d’études.
G.F.T. : Et comment êtes-vous arrivé à l’écriture alors ?
A.C. : Une fois de plus, la magie des rencontres destinées. Je dirigeais un supermarché à Portivechju et c’est à ce moment, que Jean-François Corda et son ami, le regretté Christian Ruspini, répondirent à une annonce que j’avais passé sur « Radio Golfe » pour incarner le père Noël. Il n’avait que 16 ans, nous nous liâmes d’amitié et vinrent ensuite les expériences radiophoniques avec ma participation à l’émission « Pour quelques mots » et « Contes et légendes de Corse ». Entre deux émissions, Jean-François me sollicitait souvent pour que je me mette à écrire, ce que je fis finalement avec « Addiu Corsica », une pièce en français, se terminant par un paragraphe écrit en corse, tout en phonétique à cette époque. Les rimes vinrent par enchantement et j’étais émerveillé de pouvoir donner vie à cette « cursitù » qui gisait en moi.
G.F.T. : À ce jour, vous avez publié deux ouvrages, «A Petracori » et «L’irissi ». Pouvez-vous nous en dire davantage sur leur genèse ?
A.C. : Après de nombreuses années dans la grande distribution et face à la frénésie qui m’entourait, je compris que tout cela n’était plus pour moi et à l’été 1993, suite au départ de ma femme et de mes enfants en Bretagne, j’ai décidé de remonter vivre au village. S’en suivirent moultes pérégrinations, à l’université de Corse en candidat libre, ainsi que diverses expériences créatives et artistiques, dans le domaine du théâtre, de la poésie ou de la peinture, jusqu’à devenir gardien du refuge de Baliri sur le GR20, où je disséminais le long des sentiers des livres et des petites pierres peintes en forme de cœur avec des citations dessus, d’où le nom A Petracori. Et ce fut la rencontre déterminante avec Rinatu Coti qui concrétisa l’ouvrage, en rassemblant les différents textes écrits pendant ces années. Au même titre que L’Irissi qui est aussi un condensé de vie, de souvenirs d’enfance ou de témoignages de moments récents, ou sont compilés les instants marquants de mon existence.
G.F.T. : Avez-vous des projets à venir ?
A.C. : Si tout va bien, pour le printemps de cette année, un nouveau livre paraîtra aux éditions Albiana, il s’intitule « U Principeddu di Bicchisgià » que « Milina » mon amie d’enfance m’a aidé à mettre en page et que je dois, du fond de mon âme, à François de Lanfranchi, notre maître pluridisciplinaire, qui nous a instruit dans tous les arts, théâtre, dessin, musique ainsi que les reliures des vieux livres.
Artistu à u sensu largu, Anghjulu Canarelli, scrivi, cumponi è dà abbrìu à i so proprii criazioni, uffrindu u so cori è mittindu a so ànima à palesu. Pueta è dramaturgu finu, hà cacciatu dui libra « A Petracori » premiu di a CTC 2010 stampatu indè Cismonte & Pumonti è « l’Irissi » premiu spiciali di a CDC 2018 stampatu indè Albiana, indù si sprimi in una lingua ricca chì li veni da longa vìa, un corsu schiettu, arradicatu à u so viculu rucchisgianu. V’eccu un assaghju di una discursata in u so paesu di Livìa.