21 décembre 2023

I banditi d’onore corsi

La notion de crime d’honneur est indissociable de celle du bandit corse. Il s’agit d’un homicide perpétré pour réparer une offense faite à l’honneur d’un individu ou de sa famille.

Replaçons-nous dans le contexte de l’époque. Entre 1846 et 1850, on ne compte pas moins de 147 homicides par an ; l’année 1849 étant la plus meurtrière avec 236 homicides. Alors, pour aider les gendarmes à capturer les bandits, une seule arme s’avère efficace : La prime. L’état installe la corruption.

Des groupes de voltigeurs, sorte d’auxiliaires de justice, sont créés.

Nous nous intéressons ici à cinq bandits dits d’honneur, et non pas aux bandits percepteurs ou d’horreur, simples voleurs, marginaux ou assassins. Avec, pour ouvrir le bal, la seule femme pouvant prétendre au titre de bandit d’honneur, Maria Fiordispina Padovani.

Fiordispina Padovani, a Bandita

1845, Ota. Une jeune femme trompée par un jeune instituteur, et voulant épargner à ses frères les funestes conséquences que la vengeance entraine toujours avec elle, seule, a tiré, au milieu d’une place publique, sur le séducteur qui l’avait trahie.

Voici les circonstances du crime qui lui est reproché :

Fiordispina Padovani venait d’avoir dix-huit ans, lorsque son père décède. Sa mère ayant convolé en secondes noces, Fiordispina se trouve en quelque sorte abandonnée à elle-même, n’ayant d’autre soutien que celui de ses deux jeunes frères. À Ota vivait aussi un jeune homme, Achille Franchi, instituteur. Sa maison se trouvait en face de celle de Fiordispina. La jeune fille de 22 ans maintenant, était la plus belle du village, aussi Franchi ne tarda-t-il pas à en devenir amoureux. Il la sollicita, et profitant de l’abandon dans lequel se trouvait cette jeune fille, s’introduisit dans la maison pendant l’absence des frères, et parvint à la séduire.

Fiordispina ne tarda pas à être enceinte, c’est alors qu’elle demanda à Franchi de l’épouser, ce qu’il sembla accepter. Elle accoucha. Mais l’enfant étant mort quelques jours après, Franchi s’éloigna d’elle, et nia être le père de l’enfant. Franchi osa même répandre que Fiordispina entretenait des relations coupables avec d’autres jeunes gens. Franchi avait chargé un certain Luciani, son parent, de proposer au bandit Séraphin Battini, de dire qu’il était, lui, l’amant de Fiordispina, et que l’enfant mort était né de ses œuvres, mais le bandit repoussa cette proposition avec indignation, et menaça même Franchi de le tuer s’il s’avisait de répandre ce bruit.

Franchi chercha alors à attribuer la naissance de l’enfant à François Leca. Ce François Leca, jeune homme vaniteux et léger, chercha, en effet, à accréditer ce bruit, mais tout le monde savait que Fiordispina l’avait toujours dédaigné, et que c’était sans doute pour se venger de son refus qu’il se vantait d’avoir eu avec elle des relations coupables.

Le 14 juin, Fiordispina se rend chez le curé Canibrosini, et le supplie d’employer tous ses efforts pour ramener Franchi à réparer son honneur et celui de sa famille. Mais la réponse de Franchi fut aussi injurieuse que cruelle pour la jeune fille : jamais il n’épouserait une fille qui avait cédé à d’autres. La malheureuse jeune fille rentra chez elle le cœur brisé et la rage dans l’âme. Ses frères voulaient la venger aussitôt en tuant Franchi, mais elle les pria d’attendre le moment favorable.

Dans la soirée du 26, Franchi, assis sur un petit mur qui borde la place du village, suivait une partie de cartes, lorsqu’une explosion se fit entendre, et il roula par terre en s’écriant : «Je suis mort !» Fiordispina se tenait debout devant lui, le pistolet encore fumant à la main, ne proférant que ces seules paroles : «Tiens ! voilà pour les parjures et les calomniateurs.»

Franchi survécut pendant quarante jours à sa blessure avant de mourir, et toujours il persista à nier d’être le père. Il l’accusa même d’être une seconde fois enceinte de quatre mois des œuvres d’un autre. Encore un mensonge.

Fiordispina, qui n’avait pas fui et assumant pleinement son histoire, fut déclarée coupable de meurtre avec provocation violente et circonstances atténuantes, et condamnée à trente mois de prison. Elle vécu à Vicu quelques années avec son mari et eut deux enfants.

Tiadoru Poli, Rè di i banditi

Certains bandits qui ont marqué les débuts du XIXe siècle sont des lettrés, comme en témoignent leurs prétentions à instaurer des zones « libérées », à l’instar de celle autoproclamée par Tiadoru Poli (né vers 1800) dans sa Constitution d’Aitone. Il est d’ailleurs le seul bandit à figurer dans le Larousse par la volonté de Pierre Larousse, qui tint à ce qu’un rebelle entrât ainsi dans l’histoire. La famille de Tiadoru Poli était l’une des plus riches et des plus honorables de la région de Guagnu. Voici son parcours criminel.

En 1819, Tiadoru Poli refuse de faire sa circonscription, il est arrêté par les gendarmes et enfermé à la citadelle d’Aiacciu, de laquelle il s’évade assez rapidement, puis prend le maquis. C’est en 1820 qu’il tue le brigadier qui l’avait arrêté.

En 1821, avec son groupe, lors d’un affrontement avec d’autres gendarmes, un bandit est tué, puis un gendarme et un guide. Le lendemain, deux parents du bandit sont tués par les parents du guide, ce qui provoquera d’autres actes de violence en chaîne, dont le décès d’un parent du guide.

Puis en Mars 1822, déguisé en gendarme, il dirige l’attaque de la gendarmerie de Casaglione, où un gendarme et un bandit sont tués. Et deux ans plus tard, lors d’une embuscade, c’est son neveu et un voltigeur qui sont assassinés.

C’est le 5 février 1827 que Tiadoru Poli trouve la mort, lors d’un affrontement avec des voltigeurs.

Vous l’aurez donc compris, Tiadoru Poli n’agissait pas seul.

La bande de Tiadoru Poli se composait en grande partie de muletiers, de paysans sans grandes ressources. Souvent, des hommes suivaient au maquis leur « patron », comme ils l’auraient fait dans n’importe quelle autre guerre, légale ou pas, mais toujours légitime à leurs yeux. Il a, sur sa troupe, une autorité absolue et sur « ses » bandits un droit de vie et de mort. Il se fait élire chef par cent cinquante contumaces et signe le 1er février 1823 une Constitution politique dans la forêt d’Aitone qui rappelle, dans ses termes, ses origines carbunari mais aussi la nostalgie de l’indépendance. On le sacre alors « roi des Bandits et roi de la Montagne ». Faure témoigne qu’en 1859 la réputation de Tiadoru en Corse n’est égalée ou dépassée que par celles de Samperu, Paoli et Napuliò.

I fratelli Bellacoscia

Quelques mots maintenant sur Jacques et Antoine Bonelli. Les deux bandits ont vécu dans le maquis pendant plus de… 40 ans. A l’origine de leur échappée verte, comme souvent, on trouve des crimes passionnels ou administratifs, et particulièrement des assassinats et enlèvements – notamment la tentative de meurtre sur le maire de Bocognano. Leur surnom de «Bellacoscia» («belle cuisse»), ils le doivent à leur père, coureur de jupons, polygame et géniteur d’une vingtaine d’enfants.

Le maire de Bocognano, Jérôme Marcaggi, ne veut pas marier une des soeurs Bonelli car elle ne possède aucun acte d’état civil. Il refuse d’établir pour Antoine, réfractaire au service, un faux certificat constatant qu’il a déjà un frère sous les drapeaux, n’accepte pas de décharger la famille Bonelli des taxes communales et l’accuse par voie de justice de lui avoir volé des parcelles de terre.

En 1847, arrêté à Bocognano pour désertion, Antoine fausse la compagnie des gendarmes qui le conduisaient à Bastia et se réfugie dans son vaste domaine de la Pentica . Le 22 juin 1848, Marcaggi qui est en train de travailler sur sa propriété est blessé lors d’une tentative d’assassinat.

Le trois novembre 1848, en compagnie de trois autres bandits, il emmène et séquestre durant 9 jours, dans son refuge de Pentica, le vieux Dominique-André Cerati qui refuse de lui donner la main de sa fille, Jeanne, dont il est tombé amoureux à la foire de Bocognano. Cette affaire, ajoutée à celle de sa désertion et la tentative d’assassinat du Maire de Bocognano, lui vaut d’être condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité en 1851 et à la peine de mort en 1854.

C’est à ce moment là que son frère Jacques, âgé de 18 ans, qui vient de tirer une décharge de chevrotines dans les jambes du Maire de Bocognano (qui est aussi notaire) parce que ce dernier avait eu la prétention de ravir à sa famille les terres de Pentica, décide de le rejoindre au maquis. Les deux frères ne se quitteront plus.

Leur vie d’ermites bénéficie du soutien de la populace et de la haute société française et internationale, qui voient en eux de vrais bandits d’honneurs, y compris au sens «romantique». Il faut dire que les Bellacoscia ne volent pas les habitants, contrairement à d’autres ! Certains entrepreneurs se paient même leurs services pour assurer la protection de projets dans l’île. Même les représentants de l’Etat vont dîner chez les Bellacoscia : préfets, ministres…

A l’instar de Romanetti, ces «héros de broussailles», comme les surnommait Le Figaro, accueillent souvent des grands noms comme de simples touristes sur leur domaine. Leur pseudo-cavale prend fin d’abord pour le vieil Antoine, qui se rend aux autorités en espérant une grâce qu’il n’obtiendra pas (mais il sera temporairement banni de l’île, avant d’y mourir en paix), puis pour Jacques Bellacoscia qui s’éteint discrètement en 1895, toujours dans le maquis…

Galluchju, banditu suciali

Nous sommes au début du XIXème siècle. Alors promis à une carrière ecclésiastique, le jeune Michel Joseph Antomarchi enlève son amour lors d’un scappaticciu, car la mère de la jeune fille ne veut pas de lui. Mais le scappaticciu échoue, Antomarchi et son élue sont rattrapés. Pire, la mère annonce le mariage de sa fille avec un autre, Cesariu Negroni. La nuit du mariage, Galluchju tire sur Cesariu et le tue. Suite à ce premier assassinat, il s’engage et combat en Grèce. Il revient en corse pour venger la mort de son frère tué par le fils de sa première victime. Galluchju tue alors Pepinu Negroni, fils de Cesariu. D’autres morts viendront ensuite.

Un jour, à Ghisoni, une jeune fille qui coupait du bois dans la forêt est attaquée et violée par un homme qui prétend s’appeler Galluchju. Déshonneur. Galluchju, informé de cette histoire, va trouver la jeune fille qui, bien sûr, ne reconnaît pas en lui son agresseur. Elle fait au bandit une description précise de ce dernier, lequel est aussitôt identifié comme étant un berger des environs. Galluchju va le trouver, le ramène à Ghisoni et l’oblige à réparer sa faute, séance tenante, en épousant sa victime. Mais l’affaire n’en reste pas Là. Galluchju invite le nouvel époux à le suivre dans un endroit à l’écart et lui loge sans autre forme de procès, une balle dans la tête. La jeune femme mariée et veuve le même jour ne méritait pas aux yeux de Galluchju, un mari de cette espèce.

Il aurait aussi invité les habitants de Palleca à ne plus payer leurs contributions à l’Etat, ce qui lui aurait valu un fort soutien de ceux-ci.

Chjusura

Justicier aux yeux des uns et criminel aux yeux des autres, le bandit nait des contradictions de la société, qui n’arrive pas à imposer une justice universelle et équitable. Autre opposition, le bandit est aussi célébré et fustigé par la presse et par les représentations de l’Etat.

Le bandit d’honneur n’est pas victime du destin, il est celui qui agit au nom des valeurs portées par sa communauté, c’est pourquoi il n’est jamais isolé et trouve toujours du soutien.

Mais au cours des siècles le bandit évolue, d’un bandit d’honneur vers un bandit percepteur. La fin de la lignée de ces bandits prenant le maquis peut être datée de juin 1935, alors que André Spada se fait guillotiner à Bastia.

D’autres bandits corses naitront alors, mais dans un tout autre registre, celui du grand banditisme, allant jusqu’à conquérir les Etats-Unis.

Ghjustizieru pà l’ochji di certi è criminali pà l’ochji d’altri, u banditu nasci da i cuntradizzioni di a sucetà, ch’ùn ci ghjunghji à impona una ghjustizia universali è pari. Altra uppusizioni, u banditu hè ancu cilibratu è vituparatu da i ghjurnali è i raprisintanti di u Statu. Ùn hè vittima di u distinu u banditu d’unori, hè quellu chì agisci in nomi di i valori purtati da a so cumunità, hè par quessa ch’ùn hè mai lacatu solu è ch’ellu si trova sempri un sustegnu. Ma à u filu di i seculi u banditu cambia, d’un banditu d’unori à un banditu parcittori. A fini di a sterpa di sti banditi chì pigliani a machja pò essa datata da ghjugnu 1935, quandu André Spada si faci scapà in Bastia.D’altri banditi corsi nasciarani tandu, ma in un rigistru altru, quellu di u grand bandistime, cunquistendu sin’à i Stati Uniti.

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