Il suffit parfois de ralentir, de tendre l’oreille. Là, un battement d’ailes furtif entre les branches. Plus loin, le bruissement d’un pas discret sur la terre sèche. Une ombre glisse dans le maquis, un chant s’élève au sommet d’un pin laricciu. La Corse est vivante, elle respire et vibre, portée par une faune aussi discrète qu’essentielle, que l’on oublie trop souvent de regarder. Nos montagnes, nos forêts, nos rivières, sont le refuge de ceux qui les habitent depuis bien plus longtemps que nous. Mais aujourd’hui, l’équilibre se fragilise. Le territoire des espèces sauvages diminue inexorablement. Déforestation, urbanisation, changement climatique : peu à peu, ceux qui peuplaient les profondeurs du maquis s’aventurent là où on ne les attend pas. Est-ce eux qui nous envahissent, ou bien nous qui leur avons laissé de moins en moins d’espace?
Voici une invitation à redécouvrir la richesse de notre île, non pas à travers ses panoramas, mais à travers les êtres qui nous entourent.
U Signari / U Cignale : u spiritu di a machja
Le sanglier corse, plus petit et plus agile que son cousin continental, est un maître du relief insulaire. Depuis toujours, il façonne la terre sous ses pas. Rien n’échappe à son groin explorateur.
En fouillant le sol, il :
Aère la terre, facilitant l’enracinement des plantes,
Disperse les graines, contribuant à la régénération de la végétation,
Régule la biodiversité, en consommant baies, glands, champignons et même certains insectes.
En un seul hiver, une harde de sangliers peut retourner plusieurs hectares de forêt. Un cycle naturel essentiel, mais aujourd’hui perturbé.
Un territoriu in periculu
En cinquante ans, la surface forestière corse a reculé de plus de 20% sous la pression des infrastructures humaines. Routes, lotissements, incendies : chassé de son territoire, le sanglier n’a plus le choix. Il s’aventure de plus en plus près des villages et villes, cherchant refuge là où autrefois régnait le silence des bois, sa présence semble être un avertissement. Autrefois figure mythique du maquis, il devient aujourd’hui un visiteur indésirable. Mais derrière chaque intrusion, il y a une réalité : si nous réduisons l’espace du sauvage, il finit par entrer dans le nôtre.
E campagnole di Corsica : A Pittibianca è a Ciattula capiniedda
Perchées entre ciel et terre, a Ciattula capiniedda (la mésange charbonnière) et a Pittibianca (la mésange bleue) sont des gardiennes de l’équilibre naturel.
Mésange charbonnière (Parus major) : Elle arbore un plumage intense et contrasté, avec un manteau jaune vif éclatant barré d’une large bande noire descendant de son bec jusqu’à son ventre. Son dos est d’un vert olive discret, tandis que ses ailes et sa tête affichent un noir profond, rehaussé de taches blanches sur les joues. Plus grande et robuste que les autres mésanges, elle domine les mangeoires en hiver. Son nid, confectionné avec de la mousse, du duvet et des poils d’animaux, peut accueillir jusqu’à 18 oeufs, exigeant un millier de becquées par jour pour nourrir les oisillons affamés.
Mésange bleue (Parus caeruleus) : Plus petite et délicate, elle est une explosion de couleurs. Son dos est d’un bleu cobalt intense, ses ailes mêlent nuances azurées et reflets argentés, et sa poitrine est teintée d’un jaune doux, contrastant avec son élégant collier noir. Son front et ses joues sont d’un blanc éclatant, encadrés par un fin bandeau bleu sur le sommet du crâne, lui donnant un air vif et espiègle. Petite acrobate agile, elle niche dans des cavités étroites, parfois même dans les boîtes aux lettres ! Sa ponte compte une douzaine d’oeufs blancs tachetés de brun rouge, qu’elle défend avec une énergie farouche. Chacune a son rôle, mais toutes deux sont essentielles. Elles régulent les populations d’insectes, préservant ainsi l’équilibre de la végétation. Sans elles, les forêts seraient plus vulnérables aux invasions de chenilles processionnaires et autres ravageurs.
Un signale d’alarmu in un mondu chì cambia
Mais elles aussi voient leur habitat s’effriter. Leur nombre diminue dangereusement, victimes d’un ennemi invisible : l’activité humaine.
Moins d’arbres creux pour nicher,
Des pesticides qui contaminent leurs proies,
Un climat qui se dérègle, perturbant leurs cycles de reproduction.
Depuis 1990, les populations de mésanges en Europe ont chuté de plus de 30%. Écouter leur chant, c’est entendre la nature qui nous parle encore.
Prutege l’isula, ghjè dinò prutege i so guardiani discreti
La Corse n’est pas seulement une île de montagnes et de plages. Elle est un monde vivant, un équilibre fragile où chaque être, du plus grand au plus petit, a sa place.
Le sanglier qui s’aventure en ville, la mésange qui se fait plus rare : tout cela raconte une même histoire. Celle d’une île où l’homme et la nature cohabitent depuis des siècles, mais où cette harmonie est aujourd’hui menacée. Alors, tendons l’oreille, et ralentissons. Observons. Écoutons. Car tant que la nature nous parle encore, il est encore temps d’agir…
À volti basta solu à misurà u passu, à stenda l’arichja. Quì, un battìmi d’ala furtivu trà i frondi. Più indà, una zampittata discreta nantu à a tarra sicca. Un umbra fila in a machja, un cantu s’inalza in cima à un lariciu. A Corsica hè viva. Rispira, trizinighja, purtata da animali discreti è attempu essenziali, ch’è no’ smintichemu di rimirà, in quissu riami trà celi è tarra.
Testu : Julie Beretti