Si une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on, elle l’annonce pourtant. Mais le savoir proverbial ne semble pas avoir associé un volatile à l’arrivée de l’automne. En Corse, la vaste zone de maquis reste d’un vert presque monochrome, aucune coloration n’indiquant les humeurs automnales. Contrairement aux forêts continentales où les feuillages rougissent, jaunissent ou brunissent, notre maquis, persistant et robuste, conserve le même visage. Cet apparent immobilisme ne signifie pourtant pas que la saison reste sans transformations.
Pour l’ornithologue attentif, les indices sont ailleurs. Un changement radical de la communauté aviaire intervient vers la mioctobre : l’arrivée en masse de Rougegorges familiers Erithacus rubecula. Leur venue, discrète pour l’oeil inattentif, marque l’une des grandes transitions saisonnières de l’île.
Ces petits oiseaux, reconnaissables à leur plastron rouge orangé, ont migré depuis le nord de l’Europe pour passer leurs quartiers d’hiver dans le maquis corse. De la Scandinavie à l’Allemagne, ils entreprennent chaque année ce long périple, guidés par un instinct ancien. La Corse, avec son maquis dense et nourricier, leur offre un refuge idéal, un abri sûr où la nourriture abonde.
Et ils sont loin de passer inaperçus : aussitôt posés, ils tonitruent leur chant mélodieux. Ce chant, fluide et cristallin, emplit alors vallées et jardins. Il devient la bande-son de nos hivers insulaires. Car comme sur les plages l’été, il y a foule et il faut marquer son territoire (sans les serviettes ! ). Chaque rougegorge, malgré sa taille minuscule, défend farouchement son espace.
On estime que la Corse accueille jusqu’à un million de ces passereaux ! Ce chiffre impressionnant donne la mesure du phénomène. Imaginez : derrière chaque buisson, chaque olivier, un rougegorge pourrait se cacher, guettant et chantant. De véritables touristes d’hiver, mais sans déchets ni impact carbone. Des visiteurs modèles, dont la présence enchante nos paysages. Alors, faute de feuilles rousses, admirons ces plastrons rouges et écoutons leur voix joyeuse virevolter dans notre automne. Le rouge-gorge est ainsi devenu un emblème saisonnier de l’île.
Peut-être faudrait-il inventer un proverbe corse : « Quand chante u pettivulturu, l’autunnu hè quì. » Une manière poétique d’associer désormais l’arrivée de la saison aux signaux venus du ciel. Car l’automne ne se lit pas dans la couleur des arbres mais dans les chants de ces passereaux. Derrière chaque note se cache une histoire de survie, une migration courageuse, un cycle immuable qui relie le nord et le sud de l’Europe. Le rougegorge, fragile en apparence, incarne une force incroyable : parcourir des milliers de kilomètres pour trouver, sur notre île, la promesse d’un hiver plus clément. Leur persévérance nous rappelle que même dans les saisons les plus froides, il existe toujours de la vie, du mouvement et de la poésie.
L’automne corse, sans rougissement des feuillages, trouve donc ses couleurs dans le plastron écarlate de ces oiseaux et sa musique dans leurs mélodies. À nous de lever les yeux et d’ouvrir l’oreille pour percevoir ce patrimoine vivant et fidèle. Car tant que les rougegorges reviendront, l’île saura que l’automne est là.
In Corsica, u vaghjime ùn si leghje in u frundame, ma cù l’affaccata smisurata di pettirossi. Da a mez’uttobre, quasi un millione di sti passeri migrendu da l’Europa suprana investiscenu a machja, marchendu una trasfurmazione discreta ma essenziale. U so cantu cristallinu si face sente in valli è giardini, ogni acellu custudendu u so territoriu cun monda ghjelusia. Fragili in apparenza ma dutati d’una forza incridibile, ramentanu chì vita è puesia persistenu ancu in e stagione e più frete.
Testu : Frederic Goes Ritratti : oiseaux de Corse