22 novembre 2021

I Palazzi di l’Americani

Le voyageur qui parcourt le Cap Corse remarquera d’imposantes bâtisses qui tranchent avec le bâti traditionnel local. D’un style néoclassique, elles témoignent d’une autre histoire, d’un autre vécu, que l’on imagine étranger à ces lieux.

On les appelle « I Palazzi di l’Americani » et l’on se prend à rêver de ce qu’a pu représenter dans l’imaginaire collectif la grande aventure américaine, avec tout son lot de fantasmes et d’espoir d’une vie meilleure qu’elle pouvait susciter.

Essayons d’imaginer dans quel contexte ces personnes, souvent de jeunes hommes célibataires, ont pu quitter leurs familles, leurs villages, leurs terres et partir pour un si long voyage qu’ils savaient peut être sans retour.

Beaucoup vous diront qu’ils ont fuit la pauvreté et le manque de perspectives que leur offrait leur terre natale. Cela parait évident et pourtant, les études démontrent que ce phénomène a touché toutes les classes de la société corse, de celle des notables et des élites qui voulaient assoir leur rang social, aux plus humbles qui ne voulaient que survivre.

C’est une histoire qui commence très tôt. Dès les premiers voyages, des marins corses sont mentionnés auprès des premiers explorateurs espagnols.
Entre 1483 et 1562, la Corse est gouvernée par le très puissant Office de Saint Georges, lui-même très proche de l’Etat Génois. Or dans ce XVIe siècle une étroite collaboration s’opère entre Gênes et le royaume d’Espagne. En 1528, l’Amiral génois Andrea Doria passe un accord avec l’Empereur Charles Quint qui place Gênes sous la protection militaire des Espagnes, entre temps celle-ci est devenue un des plus importants acteurs financiers de la couronne et de son empire. Désormais, Séville devient le lieu où se gèrent les affaires du nouveau monde, où s’établissent les Corses qui ont réussi leurs entreprises dans les Amériques.

La grande émigration corso-américaine s’effectue entre 1800 et 1939. 3 700 Corses convergent vers ce continent, dont 1 800 à Porto Rico et 1 400 au Venezuela. Parmi eux, seuls 10% reviennent en Corse.

Le nombre de Palazzi est estimé à environ 140, dont une grande partie a fait l’objet d’études architecturales sous la direction du professeur Enrique Vivoni Farage. Ce dernier a réalisé avec ses étudiants 78 maquettes qui ont été offertes à la Corse.

La plupart des Palais des Américains sont aujourd’hui des maisons de famille utilisées par les descendants des Corses qui ont fait fortune. Certains sont devenus des hôtels comme le Château Nicrosi, ou d’autres utilisés comme mairie, celle de Rogliano par exemple. Une partie seulement est menacée par les problèmes de succession et le coût élevé de leur maintenance.

De ce patrimoine en péril s’il fallait n’en sauver qu’un seul, faute de moyens plus conséquents, ce serait le Château de Stopielle, afin d’en faire un bien commun. Il serait l’archétype témoin de tous les Palais d’Américains de Corse.

C’est chose faite, le Château de Stopielle est désormais la propriété de Collectivité de Corse.

Au terme d’un long combat qui a vu agir en synergie la principale héritière de la famille Marcantoni-De Pietri, le maire de Centuri, le directeur du patrimoine de la ville de Bastia et le Président de l’exécutif de Corse qui ont réussi à extraire ce joyau des griffes d’intérêts privés. Une fois rénové, ce palais pourra être visité par tous les amoureux de notre histoire et de notre patrimoine, qu’ils soient Corses ou d’ailleurs.

Pour les lecteurs qui souhaitent aller plus loin :
Coédition du musée de la Corse – Museu di a Corsica Palazzi di l’Americani, Les Palais des Corses Américains Pise, Albiana, 2017

I Palazzi sò i testimonii di a storia, di un’epica induve e Meriche facianu sunià, di un tempu induve a vita in Corsica era terra troppu straziata, eppo si sentia dì chì certi parenti o amichi ci facianu furtuna. I Capicursini marinari dipoi i tempi più landani, u mare ùn lu temianu, fussi puru quellu di aldilà di u mediterraneu, cusì pertinu per u longu viaghju. Pochi ne rinvensenu, ma di sicuru avianu riesciutu, fecenu custruì sti magnifichi Palazzi ormai testimonii di ‘ssa storia gluriosa